Les répercussions financières de l’atteinte de la cible de dépenses militaires fixée par l’OTAN
Ce rapport examine les répercussions financières de l’engagement récent du Canada à atteindre, d’ici 2032, la cible de l’OTAN consistant à consacrer 2 % du PIB aux dépenses militaires.
Résumé
Le 11 juillet 2024, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il s’engageait à atteindre, d’ici 2032, la cible de 2 % du PIB en dépenses militaires fixée par l’OTAN. Cette annonce a fait suite à la publication de la politique de défense Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada (NNFeL) en avril 2024, qui prévoyait que les dépenses militaires atteindraient 1,76 % du PIB d’ici 2029-2030. Le gouvernement n’a pas encore publié de chiffres détaillant la façon dont il augmentera davantage les dépenses pour atteindre l’objectif de 2 %.
Cependant, dans les prévisions de NNFeL pour les exercices 2025-2026 à 2029-2030, les taux de croissance du PIB nominal se situent en moyenne autour de 1,7 %, un taux qui ne dépasse pas l’inflation et qui implique donc une récession économique de quatre ans. Si l’on recalcule les prévisions en utilisant le PIB estimé par le DPB, qui correspond globalement à celui du ministère des Finances et d’autres sources indépendantes, on obtient des dépenses militaires représentant seulement 1,58 % du PIB en 2029-2030, ce qui laisse un écart de 0,42 point de pourcentage à combler d’ici l’année cible 2032‑2033.
Le présent rapport évalue les répercussions financières d’un scénario hypothétique où l’écart résultant des projections de dépenses militaires de NNFeL est comblé de façon à atteindre la cible de 2 % du PIB d’ici 2032-2033. Ce scénario suppose que les niveaux de dépenses de NNFeL sont pleinement respectés jusqu’en 2029-2030, après quoi des augmentations supplémentaires sont mises en œuvre pour porter les dépenses militaires à 2 % du PIB dès l’exercice 2032-2033. Selon cette projection, les dépenses de défense devraient atteindre 81,9 milliards de dollars d’ici 2032-2033, soit près du double du montant prévu pour 2024-2025 (41 milliards de dollars). Une telle augmentation suppose une hausse rapide des dépenses après la conclusion de NNFeL en 2029-2030, exercice où les dépenses ne devraient atteindre que 57,8 milliards de dollars.
En ce qui concerne le ratio de la dette au PIB, l’analyse montre que, malgré la forte augmentation des dépenses militaires, il est possible de maintenir l’objectif du gouvernement, qui est de faire baisser ce ratio à moyen terme. Alors que le scénario de référence, aligné sur les Perspectives économiques et financières – octobre 2024 du DPB, prévoit une baisse constante à partir de 2024-2025, le scénario hypothétique maintient une tendance à la baisse similaire, le ratio de la dette au PIB devant atteindre 38,2 % en 2032-2033, soit un peu plus que la prévision de référence de 36,6 %.
À l’inverse, dans le scénario hypothétique, il est difficile d’atteindre l’objectif financier du gouvernement en matière de ratio du déficit au PIB. La prévision de référence prévoit que le ratio du déficit au PIB passera sous la barre du 1 % en 2026-2027 et poursuivra sa baisse au cours des années suivantes. En revanche, dans le scénario hypothétique, le ratio du déficit au PIB ne baisse qu’à 1,08 % en 2026-2027 et rate ainsi la cible. Alors que le ratio passe finalement sous la barre du 1 % deux ans plus tard, il se met à augmenter au cours des dernières années de la projection et dépasse à nouveau 1 % en 2032-2033 en raison de l’intensification des dépenses nécessaires pour combler l’écart de 0,42 point de pourcentage entre la cible de l’OTAN et le ratio des dépenses militaires au PIB après la conclusion de NNFeL.
Introduction
En 2006, les pays membres de l’OTAN se sont fixé comme objectif de consacrer au moins 2 % de leur PIB chaque année aux dépenses de défense. Si certains pays, notamment les États-Unis, ont dépassé cet objectif, la majorité d’entre eux n’y sont pas parvenus. En 2014, après huit années de progrès limités, les membres de l’OTAN ont réaffirmé leur engagement envers cet objectif. Depuis, le Canada est toujours resté sous le seuil des 2 % et, en 2024, il fait partie des huit pays membres n’ayant toujours pas atteint la cible, ses dépenses de défense projetées ne représentant que 1,37 % de son PIB[^1].
Le 11 juillet 2024, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il s’engageait à atteindre, d’ici 2032, la cible de 2 % du PIB en dépenses militaires fixée par l’OTAN[^2]. Selon la nouvelle politique de défense du gouvernement, Notre Nord, fort et libre : Une vision renouvelée pour la défense du Canada (NNFeL), publiée en avril 2024, il est prévu que les dépenses militaires totales passent de 41,0 milliards de dollars en 2024-2025 à 57,8 milliards de dollars en 2029-2030, une somme qui, selon les projections du ministère de la Défense nationale (MDN), représenterait alors 1,76 % du PIB de cet exercice[^3][^4].
Bien que le gouvernement ait fait cette annonce, il n’a pas encore publié de chiffres détaillant la façon dont il augmentera davantage les dépenses de défense pour atteindre l’objectif de 2 % d’ici 2032. De nouvelles initiatives d’investissement qui n’étaient pas incluses dans les projections de financement initiales de NNFeL, telles que le Programme de sous-marins canadiens de patrouille, devraient contribuer à accroître les dépenses après 2029-2030.
Une analyse récente du DPB portant sur les dépenses militaires et la cible de 2 % de l’OTAN, publiée en juillet de cette année, a établi une prévision indépendante des dépenses militaires du Canada selon la définition de l’OTAN. Ces travaux sont antérieurs à l’engagement pris par le gouvernement d’atteindre la cible de 2 % d’ici 2032.
Le présent rapport complète l’analyse de juillet 2024 en fournissant une autre prévision qui suppose que le gouvernement respectera ses engagements énoncés dans NNFeL et atteindra la cible de dépenses de 2 % d’ici l’exercice 2032-2033. L’objectif de ce rapport est d’évaluer si ces projections cadrent avec les objectifs financiers du gouvernement du Canada, qui sont d’abaisser le ratio de la dette au PIB à partir de 2024-2025 et de maintenir le ratio du déficit au PIB sur une trajectoire descendante et sous la barre de 1 % à partir de 2026-2027. La présente analyse évalue donc dans quelle mesure il est possible d’atteindre la cible de dépenses de défense de l’OTAN tout en respectant les lignes directrices énoncées par le gouvernement en matière de viabilité budgétaire.
Les prévisions de la politique NNFeL en matière de dépenses militaires et de PIB
Le tableau 1 présente les prévisions établies par la politique NNFeL pour la période de 2024-2025 à 2029-2030 en ce qui concerne les dépenses militaires, le PIB nominal, les taux de croissance économique et les dépenses de défense en pourcentage du PIB[^5]. Le tableau comprend aussi les prévisions indépendantes du DPB en matière de PIB nominal et de taux de croissance économique, ainsi que le ratio de dépenses de défense au PIB recalculé en fonction des valeurs de PIB établies par le DPB.
Selon les prévisions de NNFeL, le ratio des dépenses de défense au PIB atteindra 1,76 % en 2029-2030, ce qui signifie que la cible de 2 % ne sera plus qu’à un quart de point de pourcentage d’être atteinte. Toutefois, ce chiffre de 1,76 % a été obtenu au moyen d’une prévision erronée du PIB : les taux de croissance du PIB nominal appliqués dans cette prévision pour les exercices 2025-2026 à 2029-2030 sont en moyenne de l’ordre de 1,7 %. Des taux de croissance aussi faibles sont peu susceptibles de dépasser l’inflation et impliquent une récession économique de quatre ans, soit d’une durée presque deux fois supérieure à celle de la plus longue récession qu’ait connue le pays au cours des 40 dernières années[^6].
Si l’on remplace les prévisions erronées du PIB par les données du DPB, qui sont comparables à celles du ministère des Finances et d’autres sources indépendantes, les dépenses de défense projetées n’atteignent que 1,58 % du PIB en 2029-2030. Pour atteindre la cible d’ici 2032-2033, les dépenses de défense devraient augmenter encore de 0,42 point de pourcentage du PIB tout en suivant la croissance attendue du PIB nominal. Le taux de croissance des dépenses militaires nécessaire pour atteindre le seuil de 2 % d’ici 2032-2033 est donc nettement plus élevé que dans le scénario de NNFeL, où l’on atteint 1,76 % d’ici 2029-2030.
Atteindre la cible de 2 % du PIB en dépenses de défense : un scénario hypothétique
Pour évaluer les répercussions financières de l’atteinte de la cible de 2 % d’ici l’exercice 2032-2033 au Canada[^8], il est nécessaire d’établir une prévision hypothétique des dépenses en fonction de cet objectif. Le DPB a établi cette prévision (figure 1) en supposant que les dépenses de défense totales projetées dans NNFeL se concrétiseront pleinement jusqu’en 2029-2030. Pour combler l’écart entre les dépenses de défense en 2029-2030 (1,58 % du PIB) et la cible de 2 %, les dépenses sont progressivement augmentées au cours des trois années suivantes de façon à atteindre exactement 2 % du PIB à l’exercice 2032‑2033.
Selon ces prévisions, il faudrait que les dépenses militaires atteignent 81,9 milliards de dollars d’ici l’exercice 2032-2033, soit près du double des 41 milliards de dollars prévus pour 2024-2025. Une telle augmentation suppose une hausse rapide des dépenses après la conclusion de NNFeL en 2029-2030, exercice où les dépenses devraient atteindre seulement 57,8 milliards de dollars.
Ministère de la Défense nationale
Bureau du directeur parlementaire du budget
Ministère de la Défense nationale
Bureau du directeur parlementaire du budget
Les dépenses de défense prévues dans NNFeL sont tirées de l’addenda à cette politique. Les dépenses de défense après 2029-2030 reposent sur les calculs du DPB.
L’incidence de la hausse des dépenses militaires sur les objectifs financiers du Canada
Pour mesurer l’incidence que la hausse des dépenses militaires nécessaire à l’atteinte de la cible de 2 % de l’OTAN d’ici l’exercice 2032-2033 pourrait avoir sur les objectifs financiers du Canada, il convient d’abord de faire la distinction entre la comptabilité de caisse et la comptabilité d’exercice et de comprendre leurs implications dans une telle analyse.
La cible de dépenses militaires fixée par l’OTAN est essentiellement fondée sur la comptabilité de caisse, qui tient compte des dépenses militaires réelles au cours d’une année donnée. À l’inverse, les objectifs financiers du Canada sont évalués à l’aide d’une approche fondée sur la comptabilité d’exercice. Si l’écart entre ces méthodes comptables est minime lorsqu’il s’agit de dépenses opérationnelles, il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de dépenses en capital. Il est important d’en tenir compte, étant donné que, selon les projections, les dépenses du Canada consacrées aux équipements majeurs finiront par représenter constamment plus de 30 % des dépenses militaires totales.
Dans un système de comptabilité d’exercice, les immobilisations, en particulier dans le secteur de la défense, sont amorties sur leur durée de vie utile, alors que dans un système de comptabilité de caisse, les dépenses sont comptabilisées à mesure que les biens sont achetés et mis en service. Il est donc possible d’augmenter rapidement les dépenses en capital dans un système de comptabilité de caisse pour faciliter l’atteinte de la cible de 2 % à moyen terme. Toutefois, dans un système de comptabilité d’exercice, une grande partie de ces dépenses ne se refléterait que progressivement, à mesure que les actifs seraient mis en service, ce qui pourrait en limiter l’incidence sur les objectifs financiers déclarés du gouvernement.
Comparaison entre l’approche hypothétique et l’approche de référence
Les Perspectives économiques et financières – octobre 2024 du DPB constituent le cadre de référence auquel le scénario de dépenses hypothétique est comparé. Pour établir le scénario hypothétique en comptabilité d’exercice, les dépenses en capital attribuées à la défense ont été retranchées du cadre de référence et remplacées par une nouvelle série de dépenses, plus élevées, qui représentent les dépenses en capital (dépenses en équipements majeurs) nécessaires pour atteindre la cible de dépenses de 2 % en 2032‑2033 selon la comptabilité d’exercice. De la même façon, les coûts d’exploitation du scénario hypothétique ont remplacé les coûts correspondants dans le cadre de référence.
Les objectifs financiers du gouvernement du Canada
Comme indiqué dans l’Énoncé économique de l’automne 2023 et dans le budget de 2024, les principaux objectifs financiers du gouvernement consistent à maintenir le déficit de 2023-2024 à 40,1 milliards de dollars ou moins, à abaisser le ratio de la dette au PIB à compter de 2024-2025, et à maintenir le ratio du déficit au PIB sur une trajectoire descendante, en dessous de 1 % du PIB en 2026-2027 et les années suivantes. Les deux derniers objectifs financiers sont pertinents pour la présente analyse, étant donné que, dans le profil hypothétique des dépenses militaires, les dépenses augmentent au-dessus des valeurs du scénario de référence pour chaque exercice de 2024-2025 à 2032-2033.
Incidence sur le ratio de la dette au PIB
La figure 2 illustre la comparaison entre le scénario hypothétique et le scénario de référence. L’analyse démontre qu’il est possible d’atteindre l’objectif financier consistant à maintenir un ratio de la dette au PIB sur une trajectoire descendante à moyen terme, tout en augmentant les dépenses de défense dans la mesure requise pour atteindre 2 % du PIB d’ici 2032‑2033.
Dans le scénario de référence, conforme aux Perspectives économiques et financières – octobre 2024 du DPB, on prévoit que le ratio de la dette au PIB restera stable à environ 42 % au cours des quelques prochains exercices, avant d’amorcer une trajectoire descendante à moyen terme.
Dans le scénario hypothétique, le ratio de la dette au PIB maintient sa tendance à la baisse malgré les dépenses militaires supplémentaires prévues dans le cadre de NNFeL et au-delà, quoiqu’il reste constamment plus élevé que dans le scénario de référence. Dans les dernières années de la politique de défense NNFeL et au cours de la période précédant l’année cible 2032-2033, le ratio diminue à 38,2 %, un taux quelque peu plus élevé que le taux de 36,6 % du scénario de référence.
Bureau du directeur parlementaire du budget
Bureau du directeur parlementaire du budget
Les calculs du DPB se fondent sur les données de la Défense nationale et sur d’autres travaux du DPB.
Incidence sur le ratio du déficit au PIB
La figure 3 compare la trajectoire du ratio du déficit au PIB dans le scénario hypothétique et dans le scénario de référence, en mettant en évidence leur divergence sur toute la période de prévision. Les résultats montrent que l’objectif financier consistant à réduire le ratio du déficit au PIB sous 1 % d’ici 2026-2027 et à maintenir une trajectoire descendante dans les années subséquentes n’est peut-être pas pleinement réalisable.
Dans le scénario de référence, le ratio du déficit au PIB devrait tomber en deçà de l’objectif de 1 % en 2026-2027 et continuer à diminuer au cours des trois années suivantes, pour atteindre 0,62 % en 2029-2030 et se stabiliser à ce niveau jusqu’en 2032‑2033.
En revanche, dans le scénario hypothétique, le ratio du déficit au PIB est plus élevé tout au long de la période de projection. S’il diminue au départ, il ne descend qu’à 1,08 % en 2026-2027 et n’atteint donc pas la cible de 1 %. Le ratio poursuit sa baisse au cours des trois exercices suivants pour atteindre un creux de 0,8 %, mais il augmente ensuite progressivement dans les dernières années de la période de prévision pour dépasser le 1 % en 2032-2033. Les augmentations dans les trois dernières années sont attribuables à la nécessité de hausser substantiellement les dépenses militaires dans la période subséquente à NNFeL pour atteindre la cible de 2 % en 2032-2033.
Bureau du directeur parlementaire du budget
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Les calculs du DPB se fondent sur les données de la Défense nationale et les travaux antérieurs du DPB.
Communications
Citations
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D’après notre analyse et des projections du PIB indépendantes, les plus récentes prévisions des dépenses militaires du gouvernement ne correspondront qu’à 1,58 % du PIB d’ici 2029 2030, ce qui signifie que les dépenses militaires devront être augmentées de 0,42 point de pourcentage du PIB au cours des trois années suivantes pour atteindre l'objectif en 2032-33.
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Pour respecter la cible fixée par l’OTAN, les dépenses militaires du Canada doivent grimper à 81,9 milliards de dollars d’ici 2032-2033, soit près de deux fois plus que le montant de 41 milliards de dollars prévu pour 2024-2025.
Directeur parlementaire du budget