Énoncé économique de l’automne : enjeux pour les parlementaires
Le présent document souligne les enjeux relatifs à l’Énoncé économique de l’automne 2024 qui pourraient intéresser les parlementaires.
Déficit de 2023-2024 plus important que prévu
L’Énoncé économique de l’automne 2023 (EEA) a fixé comme objectif budgétaire de maintenir le déficit du budget de 2023-2024 en deçà de 40,1 milliards de dollars. Le budget de 2024 estimait le déficit de 2023-2024 à 40 milliards de dollars. L’EEA 2024 indique que le déficit de 2023-2024 était de 61,9 milliards de dollars et qu’en excluant 21 milliards de dollars d’éléments ponctuels ou exceptionnels, le déficit aurait été de 40,8 milliards de dollars.
Une part importante des 21 milliards de dollars dépensés a toutefois été incluse dans le cadre budgétaire au moment du budget de 2024 (y compris une part importante des passifs éventuels). Cela laisse supposer que, sans le nombre supplémentaire d’éléments ponctuels et exceptionnels du budget de 2024, le déficit de 2023-2024 aurait tout de même dépassé le seuil de 40,1 milliards de dollars. Par exemple, les recettes budgétaires totales en 2023-2024 étaient inférieures de 5,5 milliards de dollars aux prévisions du budget de 2024 (de 40 milliards de dollars) et, toutes choses égales par ailleurs, le déficit aurait été de 45,5 milliards de dollars en 2023-2024.
Si l’on considère les récentes prévisions budgétaires du directeur parlementaire du budget (DPB) publiées dans les Perspectives économiques et financières (PEF) d’octobre, le déficit vérifié est supérieur de 15,1 milliards de dollars à notre estimation (46,8 milliards de dollars, tableau 1).
Dans l’ensemble, les recettes ont été inférieures de 1,4 milliard de dollars (0,3 %) et les dépenses de programmes ont été supérieures de 13,9 milliards de dollars (3,1 %) par rapport aux estimations pour 2023-2024.
Pas de transparence sur les hypothèses en matière d’immigration
Les perspectives économiques présentées dans l’EEA sont fondées sur l’enquête de septembre 2024 du ministère des Finances auprès d’économistes du secteur privé. Le tableau 2 présente une comparaison globale entre la moyenne des prévisions du secteur privé et les Perspectives économiques et financières (PEF) du DPB publiées le 17 octobre[^1].
Nous remarquons que nos prévisions économiques et celles du secteur privé ont été préparées avant l’annonce par le gouvernement de la mise à jour du plan des niveaux d’immigration. Par conséquent, les prévisionnistes du secteur privé n’ont pas pu intégrer dans leurs prévisions les effets de ce changement important de la politique d’immigration. En outre, plusieurs prévisionnistes du secteur privé ont publié des projections démographiques qui diffèrent explicitement des perspectives démographiques du gouvernement.
L’inclusion de ces facteurs démographiques actualisés entraînerait probablement une révision importante à la baisse du scénario de référence et du scénario pessimiste[^2]. Ce manque de transparence et de cohérence est d’autant plus notable que les effets positifs des nouvelles politiques d’immigration sont soulignés tout au long des Perspectives économiques et financières de l’EEA 2024, alors qu’aucun des effets négatifs n’est mentionné.
En l’absence d’un scénario de référence démographique actuel et transparent, les prévisions de l’EEA du gouvernement ne sont pas très différentes des perspectives d’octobre du DPB. Dans l’ensemble, les perspectives de croissance du produit intérieur brut (PIB) réel pour la période 2024-2029 présentées dans l’EEA sont légèrement plus faibles. Le PIB nominal de l’EEA 2024 est supérieur de 21 milliards de dollars (0,6 %) par an, en moyenne, pour la période 2024-2029, par rapport aux perspectives d’octobre du DPB[^3]. Le taux de chômage projeté dans l’EEA s’élève en moyenne à 5,9 % pour la période 2024-2029, soit 0,2 point de pourcentage de plus que les prévisions d’octobre du DPB.
Le DPB publiera ses propres estimations des effets économiques des plans d’immigration du gouvernement plus tard cet hiver.
Autre surprise sur les passifs éventuels
Le gouvernement attribue principalement l’écart par rapport à la cible du déficit aux « Paiements potentiels futurs pour régler les revendications des peuples autochtones[^4] ».
La volatilité et l’ampleur des variations annuelles des provisions pour passifs éventuels ont augmenté depuis 2015 (figure 1). La majeure partie de cette augmentation concerne les revendications des peuples autochtones (tableau 3).
Comptes publics du Canada.
Comptes publics du Canada.
Les exercices font référence aux Comptes publics du Canada. Ainsi, 2024 reflète les résultats de l’exercice financier 2023-2024.
Comme le DPB l’a fait remarquer plus tôt cette année, les dépenses liées à la provision pour passifs éventuels peuvent avoir un effet important sur l’équilibre budgétaire du gouvernement fédéral[^5]. De plus, les paiements légaux réels peuvent varier de manière considérable par rapport à l’estimation initiale. C’est notamment le cas pour les revendications qui font l’objet d’une procédure judiciaire ou d’autres mécanismes de règlement des litiges.
Il existe un besoin clair et pressant de transparence accrue dans le processus gouvernemental d’estimation des passifs éventuels, ainsi que de rapprochement des règlements de ces revendications avec les provisions précédemment constituées. Le gouvernement est d’accord et s’est engagé à créer un groupe de travail interne pour évaluer la question. Néanmoins, le DPB recommande aux parlementaires de lancer une étude sur les passifs éventuels et de fournir au gouvernement des recommandations pour remédier aux faiblesses actuelles. Le personnel du DPB est disponible pour soutenir les efforts de promotion de la transparence budgétaire.
Comptes publics : un retard injustifié
La capacité (ou la volonté) du gouvernement fédéral à produire des états financiers de qualité supérieure, et dans un temps opportun, continue de se détériorer. Comme le montre la figure 1, le gouvernement a atteint un nouveau point bas cette année avec un retard historique dans la signature des Comptes publics par la vérificatrice générale (253 jours après la fin de l’exercice financier). Les Comptes publics ont été déposés près de neuf mois après la fin de l’exercice financier. Pire encore, les états financiers vérifiés ont été inexplicablement présentés le jour après la publication de l’EEA plutôt qu’avant ou en même temps que le plan économique et budgétaire du gouvernement.
Un tel retard est généralement associé aux élections d’automne (2014-2015, 2018-2019, 2020-2021) ou à une pandémie mondiale (2020-2021). Cette fois-ci, la contrôleuse générale a laissé entendre que « plusieurs transactions nouvelles et importantes » avaient entraîné le retard, mais elle n’a pas précisé en quoi cela différait des exercices précédents[^6]. Le président du Comité des comptes publics de la Chambre des communes a souligné que les parlementaires ont demandé à plusieurs reprises une publication plus rapide des informations financières et que l’ancien contrôleur général du Canada a convenu que cette publication serait à la fois bénéfique et faisable.
Comme l’a souligné de façon répétitive le DPB, la publication des Comptes publics dans un temps opportun est essentielle à la transparence et à la responsabilité des finances publiques. En publiant les Comptes publics plus tôt, le gouvernement donnerait aux parlementaires plus de temps pour effectuer un contrôle financier ex post et obtenir de meilleures informations pour évaluer les plans et les estimations budgétaires du gouvernement. Ce retard inexplicable est donc extrêmement préoccupant.
La contrôleuse générale a fait remarquer aux membres du Comité des comptes publics que : « Le gouvernement est légalement tenu de déposer les comptes publics au plus tard le 31 décembre suivant la fin de l’exercice ou dans les 15 premiers jours suivant la reprise des travaux de la Chambre s’il ne siège pas pendant cette période [traduction]. » Compte tenu de l’accent mis sur le respect des obligations légales plutôt que sur la promotion de la transparence et de la responsabilité financière, le DPB réitère sa recommandation de déplacer la date de publication des Comptes publics au 30 septembre[^7].
Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Comptes publics du Canada.
Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Comptes publics du Canada.
Les exercices font référence aux Comptes publics du Canada. Ainsi, 2024 reflète les résultats de l’exercice financier 2023-2024.
Évaluation des objectifs budgétaires et de la cible budgétaire
En plus de réitérer l’engagement du gouvernement à atteindre sa cible budgétaire (réduire le ratio de la dette fédérale au PIB à moyen terme), l’EEA 2023 a présenté les objectifs budgétaires du gouvernement pour orienter la prise de décisions concernant le budget de 2024. Les résultats et les projections présentés dans l’EEA 2024 peuvent être évalués par rapport à ces objectifs[^8].
- Objectif no 1 : Maintenir le déficit de 2023-2024 à un niveau égal ou inférieur à la projection du budget de 2023, qui était de 40,1 milliards de dollars.
Comme indiqué précédemment, le gouvernement n’a pas atteint son premier objectif budgétaire.
- Objectif no 2 : Abaisser le ratio de la dette fédérale au PIB pour 2024-2025 par rapport à la projection de l’EEA 2023 (42,7 %) et le maintenir sur une trajectoire descendante par la suite.
L’EEA 2024 souligne également que le ratio de la dette fédérale au PIB pour 2023-2024 était de 42,1 %, ce qui « cadre avec l’objectif budgétaire actuel établi dans le budget de 2024 », reflétant une croissance plus forte après les révisions des données antérieures. Sans la révision des données antérieures sur le PIB nominal en 2023 (qui était connue au moment du budget de 2024), le ratio de la dette fédérale au PIB pour 2023-2024 aurait été de 42,8 %.
Selon les prévisions du secteur privé concernant la croissance du PIB nominal en 2024, le ratio de la dette fédérale au PIB pour 2024-2025 aurait été de 42,5 % en l’absence de la révision des données antérieures sur le PIB nominal en 2023, ce qui est légèrement inférieur au seuil fixé pour cet objectif budgétaire.
- Objectif no 3 : Maintenir un ratio du déficit au PIB sur une trajectoire descendante en 2024-2025 et maintenir les déficits inférieurs à 1 % du PIB en 2026-2027 et les années suivantes.
Compte tenu du déficit plus important que prévu en 2023-2024 (2,1 % du PIB par rapport à 1,4 %), le déficit pour 2024-2025 diminue à 1,6 % du PIB malgré une révision à la hausse de 8,5 milliards de dollars dans l’EEA 2024. En outre, les prévisions de l’EEA 2024 montrent que le déficit passera sous la barre des 1,0 % du PIB en 2026-2027 et restera sous ce seuil pendant les autres années de l’horizon de planification. Bien que ce déficit soit conforme à l’objectif budgétaire actuel du gouvernement, la marge de manœuvre financière prévue pour la période 2026-2027 à 2029-2030 serait limitée à 7,1 milliards de dollars par an, en moyenne, selon les perspectives présentées dans l’EEA 2024. Cette marge de manœuvre laisserait peu de capacité fiscale pour faire face à une diminution des recettes ou à des dépenses supplémentaires sans augmenter les impôts.
- Cible budgétaire : réduire le ratio de la dette fédérale au PIB à moyen terme.
L’EEA 2024 prévoit l’augmentation du ratio de la dette fédérale au PIB jusqu’à 42,1 % en 2023-2024 avant de diminuer à moyen terme jusqu’à 38,6 % en 2029-2030. Cela dit, le ratio de la dette fédérale devrait rester bien supérieur à son niveau d’avant la pandémie, soit 31,2 % du PIB.
L’EEA 2024 présente également des scénarios économiques optimiste et pessimiste qui tiennent compte d’incertitudes entourant les perspectives, en envisageant des trajectoires de croissance plus lente et plus rapide. Ces scénarios offrent un éventail limité de résultats économiques possibles, reflétant des effets largement temporaires sur le PIB nominal à moyen terme. Par exemple, dans le scénario pessimiste, le niveau du PIB nominal en 2029-2030 ne serait inférieur que de 0,8 % à l’hypothèse de planification pour le même exercice. Par conséquent, en l’absence de mesures budgétaires discrétionnaires en réponse à cet effet économique, le ratio de la dette fédérale au PIB reprend une tendance descendante et le ratio du déficit au PIB tombe progressivement sous 1 % du PIB d’ici la fin de l’horizon à moyen terme.