Estimation des coûts pour le projet de loi S-230 (modifications du système correctionnel)
Ce rapport a été produit en réponse à une demande par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour une estimation des coûts liés au projet de loi S-230.
Résumé
Le coût direct des nouvelles activités requises par le projet de loi S‑230 est estimé à 6,8 millions de dollars par année. Cependant, le projet de loi vise aussi à permettre des changements de politique qui exigeraient des ressources supplémentaires, y compris le recours accru aux soins psychiatriques, ce qui pourrait coûter jusqu’à 2 milliards de dollars par année, selon la façon dont ces changements sont interprétés et mis en œuvre.
Bureau du directeur parlementaire du budget.
Bureau du directeur parlementaire du budget.
Introduction
Ce rapport a été produit en réponse à une demande par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour une estimation des coûts liés au projet de loi S-230.
Conformément aux pratiques exemplaires internationales, lorsqu’un projet de loi exige d’une organisation qu’elle réalise une activité et que cette activité nécessite certaines ressources, le DPB fournit une estimation du coût des ressources nécessaires pour satisfaire à la nouvelle exigence[^1]. C’est ce que nous appelons le coût direct du projet de loi. Cela ne signifie toutefois pas que le projet de loi autorise des dépenses supplémentaires. En fait, le coût direct du projet de loi représente un coût de renonciation correspondant aux ressources qui seraient nécessaires pour satisfaire aux nouvelles obligations et qui pourraient ne plus être disponibles pour s’acquitter d’autres responsabilités. Le Parlement peut décider d’accorder ou non des fonds supplémentaires pour couvrir ces coûts, ce qui aura des répercussions sur les ressources dont dispose le Service correctionnel du Canada (SCC) pour s’acquitter de ses autres responsabilités.
Selon notre interprétation, les coûts directs du projet de loi S‑230 consistent principalement des coûts liés à de nouvelles procédures judiciaires. Ils comprennent les demandes d’ordonnance judiciaire pour placer une personne dans une unité d’intervention structurée pendant plus de 48 heures et les réponses aux demandes de réduction de peine pour injustice dans l’administration de la peine.
Les coûts peuvent également être indirects lorsqu’un projet de loi vise à permettre des changements de politique nécessitant des ressources supplémentaires. Ces changements de politique peuvent être mis en œuvre à une date ultérieure ou pas. C’est ce que nous appelons les coûts de la proposition de politique.
Les témoignages présentés au comité concernaient surtout le coût du transfèrement dans des hôpitaux psychiatriques sous contrat de personnes incarcérées souffrant de troubles mentaux invalidants et le coût des solutions de rechange à l’incarcération pour les membres de communautés marginalisées. Cependant, d’après notre interprétation du projet de loi S-230 présentée ci‑dessous, le SCC n’est pas tenu d’affecter des ressources supplémentaires à ces activités. Toute augmentation des dépenses serait un changement de politique discrétionnaire que ne requiert pas le projet de loi.
En raison du manque de détails ou de contexte qui permettrait de cerner les changements de politique proposés – notamment en ce qui concerne le pourcentage de personnes admissibles à des soins psychiatriques et à des solutions de rechange à l’incarcération, et qui devraient bénéficier de ces soins et dispositions –, nous ne pouvons pas fournir d’estimation du coût des changements de politique que le projet de loi S-230 a pour objet de permettre. Par conséquent, ce rapport porte sur les coûts directs du projet de loi S‑230.
Analyse article par article
Article 2 : Élargissement de la définition des unités d’intervention structurée
À l’heure actuelle, le terme « unité d’intervention structurée » (UIS) ne s’applique qu’aux secteurs désignés comme tels. Cet article du projet de loi élargirait la définition des UIS pour inclure tout « secteur d’un pénitencier où une personne est séparée de la population carcérale régulière et où elle est tenue de passer moins de temps en dehors de sa cellule, notamment pour prendre part à des activités, que les membres de la population carcérale régulière ».
Cette définition renferme trois exigences qui doivent toutes être satisfaites pour qu’elle puisse s’appliquer :
- la définition s’applique uniquement aux secteurs d’un pénitencier;
- la définition s’applique uniquement aux personnes séparées de la population carcérale régulière;
- la définition s’applique uniquement aux cas où la personne est tenue de passer moins de temps en dehors de sa cellule, notamment pour prendre part à des activités, que les membres de la population carcérale régulière.
Étant donné que l’article fait référence aux « secteurs d’un pénitencier », nous supposons également que la définition ne s’applique pas aux périodes pendant lesquelles des restrictions sont imposées à une partie ou à l’ensemble de la population carcérale régulière, comme les périodes de confinement cellulaire. Nous supposons également que cet élément exclut les restrictions liées au statut des personnes incarcérées, comme les restrictions découlant de l’affiliation d’une personne incarcérée à un groupe menaçant la sécurité, comme un gang, dans la mesure où ces restrictions ne sont pas liées à un secteur précis d’un pénitencier.
L’article exige aussi que les personnes soient séparées de la population carcérale régulière. Il ne renvoie donc pas à une partie de cette population. Le terme « population carcérale régulière » n’est pas défini, mais nous supposons que les personnes qui font l’objet d’une classification de sécurité moyenne ou maximale sont toujours considérées comme faisant partie de la population carcérale régulière de leur établissement et ne sont pas considérées comme étant dans une UIS, même si elles sont assujetties à des restrictions plus importantes que celles normalement imposées à une personne incarcérée dans un établissement à sécurité minimale. Nous supposons que ce terme exclut également d’autres secteurs où des personnes incarcérées sont séparées et soumises à des restrictions dans une certaine mesure, tout en étant considérées comme faisant partie de la population carcérale régulière de leur établissement, par exemple :
-
les centres régionaux de traitement (hôpitaux psychiatriques pour personnes incarcérées);
-
les unités de garde en milieu fermé (femmes faisant l’objet d’une classification de sécurité maximale);
-
les milieux de vie structurés (soins de santé mentale intermédiaires pour femmes);
-
les unités de soutien accru (personnel supplémentaire et accès à des interventions pour femmes)[^2].
Ce changement pourrait néanmoins étendre les exigences relatives aux UIS à différents types de cellules, y compris les unités d’association limitée volontaire, les rangées de suivi thérapeutique, les unités d’observation médicale, les cellules nues et les cellules destinées aux détenus dont les déplacements sont restreints.
Le DPB a demandé au SCC d’estimer sa capacité et le taux d’occupation de chacun de ces types de cellules, ainsi que les activités supplémentaires qui seraient nécessaires pour répondre aux normes applicables aux UIS, mais le SCC n’a pas fourni ce type d’information[^3]. En gros, le SCC assure qu’il faudrait des ressources considérables pour mettre en place et maintenir, dans ces secteurs additionnels, un niveau semblable ou égal de surveillance, de documentation, d’interventions et de suivi/examen de cas que dans les UIS, y compris des visites quotidiennes de professionnels de la santé et des visites régulières du directeur de l’établissement, et pour s’assurer que ces interventions répondent aux besoins uniques de la population carcérale diversifiée du SCC[^4].
Pour chaque type d’unité, le SCC aurait à choisir entre les mesures suivantes :
- traiter l’unité comme une UIS en respectant les exigences relatives à l’admission, à l’examen et au temps passé hors de la cellule/à participer à des activités;
- éliminer l’utilisation de ce type d’unité, éventuellement en plaçant plutôt les personnes incarcérées dans des UIS;
- exclure l’unité de la nouvelle définition des UIS en s’assurant que les personnes ne sont pas séparées de la population carcérale régulière ou qu’elles ne sont pas obligées de passer moins de temps en dehors de leur cellule ou moins de temps à participer à des activités qu’un membre de la population carcérale régulière.
Le SCC a expliqué auparavant que les activités quotidiennes dans les rangées/unités d’association limitée volontaire (UALV) « ressemblent à celles dans la population carcérale régulière et qu’elles ne sont pas restreintes par les conditions de détention[^10] ». En revanche, le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) rapporte que « les détenus des UALV sont souvent limités en permanence à leur rayon d’action et que les conditions de confinement étaient bien plus restrictives que celles des UIS ». Cependant, étant donné que les UALV se trouvent dans des établissements à sécurité maximale pour hommes, le groupe de comparaison applicable de la population carcérale régulière est celui des hommes soumis aux conditions de sécurité maximale qui font déjà l’objet de restrictions plus importantes. Nous supposons que les UALV seront exclues de la nouvelle définition des UIS, ou que le SCC apportera de légers changements opérationnels pour s’assurer que les UALV seront exclues.
De même, le SCC voit les rangées thérapeutiques comme un environnement de traitement spécialisé où les détenus ne sont pas tenus de passer moins de temps hors de leur cellule ou de participer à des activités. Le BEC mentionne toutefois que, tant « les détenus que les membres du personnel des trois établissements [visités] ont signalé que certains passaient jusqu’à 23 heures par jour dans leur cellule d’une rangée thérapeutique[^11] ». Cependant, le niveau de soutien fourni dans les rangées thérapeutiques devrait généralement dépasser les normes applicables aux UIS. Nous supposons que les rangées thérapeutiques seront assujetties à la nouvelle définition des UIS, mais que peu de changements opérationnels seront nécessaires pour répondre aux normes applicables aux UIS.
Les personnes incarcérées dans une unité d’observation médicale font l’objet de restrictions concernant le temps passé en dehors de leur cellule et la participation à des activités. Compte tenu des critères d’admission en unité d’observation médicale, ces personnes répondraient généralement aux critères d’admission dans une UIS, en raison d’un risque pour la sécurité de la personne incarcérée, la sécurité d’autrui ou la sécurité de l’établissement carcéral. Cependant, nous supposons que le nombre de personnes en unité d’observation médicale est assez faible et que la plupart des exigences de l’UIS, y compris en ce qui concerne les visites régulières de professionnels de la santé, sont déjà satisfaites, en particulier dans les centres régionaux de traitement où se trouvent la plupart des unités d’observation médicale.
Les cellules nues sont destinées au placement de courte durée de personnes incarcérées qui sont soupçonnées d’avoir ingéré ou dissimulé dans une cavité corporelle un objet interdit. Ces personnes répondent généralement aux critères d’admission dans une UIS, car l’élimination de l’objet interdit entraverait l’enquête connexe. En raison de la courte durée de ces placements, nous supposons que peu de personnes incarcérées se trouvent dans des cellules nues à un moment donné. Par conséquent, nous supposons qu’il sera demandé à des UIS de s’occuper également de ces cellules ou que des UIS seront converties en cellules nues. Nous supposons donc qu’aucune ressource supplémentaire importante ne sera nécessaire.
Les cellules destinées aux détenus dont les déplacements sont restreints ne devraient être utilisées que temporairement pour les personnes incarcérées qui sont transférées dans une UIS, et les personnes placées dans ces cellules sont censées jouir des mêmes droits que celles placées dans une UIS[^12]. Nous supposons donc que les cellules destinées aux détenus dont les déplacements sont restreints seront considérées comme des UIS selon la nouvelle définition, mais qu’aucune ressource supplémentaire ne sera nécessaire pour satisfaire aux normes applicables aux UIS.
En résumé, la définition révisée des UIS n’exigera probablement pas de ressources supplémentaires importantes. La plupart des secteurs susceptibles d’être concernés sont soit exclus en tant que partie de la population carcérale régulière, soit exclus parce que les détenus ne sont pas soumis à des restrictions supplémentaires en ce qui concerne le temps passé hors de la cellule ou la participation à des activités. En ce qui concerne les rangées thérapeutiques, les unités d’observation médicale, les cellules nues et les cellules destinées aux détenus dont les déplacements sont restreints, les coûts supplémentaires pour répondre aux exigences applicables aux UIS ne devraient pas nécessiter de ressources importantes.
Article 3 : Évaluation de la santé mentale
Le SCC est tenu de procéder à l’évaluation de la santé mentale des personnes incarcérées admises dans un établissement ou transférées dans une UIS, et ces évaluations doivent être effectuées par le « secteur du Service chargé de la gestion des soins de santé[^13] ». Selon la façon dont le SCC interprète cette disposition, toutes les personnes incarcérées admises dans un établissement ou transférées dans une UIS doivent faire l’objet d’une évaluation de la santé mentale par un psychiatre, un psychologue, un infirmier en psychiatrie ou un médecin de première ligne ayant une formation en psychiatrie[^14].
Le projet de loi imposerait une exigence supplémentaire selon laquelle les évaluations de santé mentale doivent être effectuées par un professionnel de la santé ayant les compétences requises qui a été engagé par le SCC. Sinon, le commissaire doit autoriser le transfèrement de la personne dans un hôpital ou un établissement psychiatrique aux fins d’une telle évaluation. Cependant, comme toutes les évaluations de la santé mentale sont déjà effectuées par des professionnels de la santé qualifiés, les nouvelles règles ne devraient pas imposer de fardeau opérationnel supplémentaire.
Le SCC a indiqué que toutes les personnes admises sont aiguillées vers une évaluation de la santé mentale et que 97 % de celles admises au cours des six derniers mois avaient au moins entamé le processus en se soumettant à une évaluation de la santé avec un infirmier le premier jour. Le SCC ne connaît toutefois pas la proportion de personnes incarcérées qui ont bel et bien fait l’objet d’une évaluation de la santé mentale[^15].
Le SCC souligne que les évaluations de la santé mentale ne se font pas toujours immédiatement parce que la personne incarcérée n’est pas disponible, par exemple lorsqu’elle comparaît devant un tribunal pour d’autres chefs d’accusation. Cependant, le projet de loi S‑230 n’exige pas que les évaluations de la santé mentale aient lieu dans les 30 jours suivant l’admission, mais seulement qu’un renvoi soit fait dans ce délai et que le personnel du SCC soit disponible pour une telle évaluation. Le SCC a déclaré être en mesure de faire faire des évaluations de la santé mentale par un professionnel de la santé dans un délai raisonnable, dans tous les établissements et en tout temps[^16]. Par conséquent, très peu de personnes incarcérées, sinon aucune ne devra être transférée dans un hôpital ou un établissement psychiatrique pour l’évaluation initiale de leur santé mentale.
Article 4 : Transfèrement dans un hôpital
Le coût des soins prodigués aux patients psychiatriques dans les hôpitaux et les établissements psychiatriques est nettement plus élevé que le coût moyen de ces soins pour la population générale incarcérée[^17]. Le coût des soins de santé pour les personnes incarcérées, y compris les soins psychiatriques, est supporté par le SCC, que les soins soient fournis par le SCC – par exemple, dans un centre régional de traitement – ou par un hôpital provincial ayant conclu un contrat avec le SCC. Par conséquent, une mesure proposée qui entraînerait une hausse considérable du nombre de personnes recevant des soins psychiatriques ferait nettement augmenter les coûts pour le SCC.
L’article 4 du projet de loi exige que le commissaire du Service correctionnel autorise le transfèrement dans un hôpital ou un établissement psychiatrique de toute personne détenue dans un établissement fédéral qui souffre de troubles mentaux invalidants.
Transfèrement dans un hôpital
29.02 Le commissaire autorise, dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables, le transfèrement dans un hôpital, notamment tout établissement psychiatrique, de toute personne condamnée ou transférée au pénitencier dont l’évaluation de la santé mentale ou l’évaluation effectuée par un professionnel de la santé agréé indique qu’elle souffre de troubles mentaux invalidants.
Le terme « troubles mentaux invalidants » n’est pas défini dans le projet de loi. Il s’agit apparemment d’un nouveau terme qui diffère de ceux utilisés dans d’autres contextes, comme dans les critères provinciaux relatifs à l’admission volontaire ou involontaire dans un établissement psychiatrique, dans les définitions cliniques des maladies mentales graves, par exemple, ou dans les définitions de l’invalidité dans le contexte des prestations de retraite et de l’aide sociale aux personnes handicapées. L’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition indique certains motifs non exhaustifs permettant de conclure que le confinement dans une UIS a des effets préjudiciables sur la santé d’une personne, mais la définition de « troubles mentaux invalidants » n’est pas liée à ces motifs.
Le terme pourrait être interprété de manière à s’appliquer à une majorité de personnes incarcérées, puisqu’il ressort de recherches antérieures que 73 % des hommes admis dans un établissement fédéral répondent aux critères d’un trouble mental. La plupart d’entre eux présentent une altération des fonctions de modérée à grave[^18]. Les taux de troubles mentaux chez les femmes incarcérées sont encore plus élevés[^19]. Ces chiffres concernent l’état de santé mentale au moment de l’admission et ne sont pas nécessairement représentatifs de la population générale incarcérée. Cependant, si l’on suppose que 75 % des personnes incarcérées souffrent de troubles mentaux et que ces troubles sont invalidants pour 50 % d’entre elles, cela signifie qu’environ 5 000 personnes incarcérées (38 % du nombre total de personnes incarcérées, soit 13 000 personnes) seraient admissibles à des soins psychiatriques.
Le terme pourrait aussi être interprété de manière à correspondre à l’évaluation par le SCC des besoins en santé mentale. Sur les 13 054 personnes incarcérées dans un établissement fédéral au 9 avril 2023, 865 auraient des besoins considérables ou plus importants et 1 759, des besoins modérés. Si le terme était interprété de façon à désigner les personnes incarcérées ayant des besoins modérés en santé mentale (autres que de faibles besoins), il s’appliquerait à environ 2 624 personnes incarcérées à un moment donné, soit environ 20 % du nombre total de personnes incarcérées.
Cette disposition s’appliquerait à toutes les personnes détenues dans les pénitenciers fédéraux en tout temps, y compris celles qui se trouvent déjà dans les hôpitaux psychiatriques administrés par le SCC appelés centres régionaux de traitement. En outre, les personnes en question devraient continuer de recevoir des soins psychiatriques tant qu’elles souffrent de troubles mentaux invalidants.
En 2022‑2023, le SCC pouvait fournir des soins psychiatriques à 654 personnes dans ses centres régionaux de traitement. Le nombre d’occupants était alors de 495, et les coûts moyens des soins de santé s’établissaient à 97 989 $ par occupant. Le coût total par occupant, en 2022‑2023, s’élevait à 257 911 $[^20].
L’article 4 indique toutefois que le SCC doit autoriser, « dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables, le transfèrement dans un hôpital, notamment tout établissement psychiatrique », de toute personne incarcérée. Le paragraphe 16(1) fait référence aux accords d’échange de services conclus avec une province. En vertu de cette disposition, le SCC a signé trois accords qui prévoient une capacité totale de 21 lits et jusqu’à 500 jours‑lits supplémentaires, en fonction des besoins.
Le SCC considère que ses accords de financement avec des hôpitaux psychiatriques sont confidentiels et a interdit au DPB d’en faire connaître la valeur directement ou indirectement en divulguant le coût marginal estimé d’un accroissement significatif de la capacité de soins psychiatriques[^21]. Cependant, en ajustant notre estimation précédente en tenant compte de l’inflation, nous estimons le coût des soins psychiatriques à environ 1 040 $ par jour en 2023, soit environ 380 000 $ par année[^22]. Ce chiffre ne reflète que le coût supplémentaire des services fournis aux personnes hospitalisées. En supposant que le SCC puisse acquérir une capacité supplémentaire suffisante, le transfèrement dans des hôpitaux psychiatriques de 2 624 à 5 000 personnes incarcérées coûterait de 1 à 2 milliards de dollars par an environ.
Cependant, le projet de loi oblige seulement le commissaire du SCC à autoriser le transfèrement de personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. Il n’oblige pas les établissements à accepter ces personnes ni le SCC à conclure des contrats pour disposer d’une capacité suffisante pour répondre aux besoins de toutes les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. En fait, le projet de loi peut laisser aux établissements sous contrat le pouvoir discrétionnaire de décider qui admettre en priorité, dans le cadre de la capacité très limitée financée par leur contrat avec le SCC. L’article 4 ne peut donc raisonnablement pas être interprété comme n’entraînant aucun coût financier direct.
Dans l’analyse ci‑dessus, nous supposons que le SCC n’a pas l’obligation de conclure des contrats pour disposer d’une capacité suffisante pour répondre aux besoins de toutes les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. Cette hypothèse est importante pour deux raisons : premièrement, si cet article du projet de loi l’obligeait à signer des contrats pour disposer d’une capacité suffisante, le SCC devrait engager des dépenses importantes; deuxièmement, si le SCC était tenu de fournir des soins psychiatriques sous contrat indépendamment de cet article, le coût des soins contrebalancerait une obligation juridique future non réalisée[^23].
Article 5 : Autorisation judiciaire d’une incarcération de plus de 48 heures
Conformément à l’article 5 du projet de loi, l’incarcération dans une UIS pendant plus de 48 heures doit être autorisée par une cour supérieure.
En 2022‑2023, 2 056 transfèrements dans une UIS ont été effectués. Sur ce nombre, 1 860 (90 %) ont donné lieu à un séjour de plus de 48 heures[^24].
L’article 5 entraînera des coûts administratifs liés aux demandes de prolongation de l’incarcération au-delà du délai de 48 heures.
Nous estimons que le coût de chaque demande pour le SCC s’élève à environ 3 000 $, soit environ 1 000 $ pour la préparation du dossier par le SCC, 1 000 $ pour la représentation par le ministère de la Justice et 1 000 $ pour l’accompagnement à l’audience des personnes incarcérées[^25].
Au total, nous estimons que le fait d’exiger l’autorisation d’une cour supérieure pour toute incarcération dans une UIS dépassant 48 heures donnerait lieu chaque année à 1 860 demandes à une cour supérieure pour un coût moyen de 3 000 $, ces demandes coûteront au total 5,5 millions de dollars par année[^26].
Ces contrôles permettront à certaines personnes d’être libérées plus tôt, que ce soit à la suite d’une décision d’une cour supérieure ou parce que le SCC n’a pas demandé d’autorisation ou n’a pas obtenu de décision dans les délais prévus. Le nombre de personnes incarcérées dans une UIS pendant plus de 48 heures diminuera alors sensiblement. Le SCC a cependant déjà informé le DPB que ses coûts relatifs aux UIS sont fixes et ne varient pas en fonction du nombre de personnes incarcérées, de sorte que, malgré des coûts moyens élevés, il est peu probable que la réduction du nombre d’occupants dans les UIS se traduise par des économies correspondantes.
Articles 7 à 10 : Accords avec des entités non autochtones prévoyant la prestation de services correctionnels
Les articles 7 à 10 du projet de loi S‑230 autorisent le ministre à conclure avec des entités non autochtones des accords de prestation de services correctionnels à des groupes marginalisés. Le commissaire est expressément tenu de prendre des mesures raisonnables pour trouver des entités non autochtones potentielles et de chercher à transférer des personnes aux entités ayant conclu un accord.
Une grande partie des personnes incarcérées appartiennent à des groupes marginalisés. D’abord, près de la moitié des personnes incarcérées ne sont pas blanches[^27]. Ensuite, parmi celles qui sont blanches, beaucoup plus seraient admissibles pour d’autres motifs, comme l’âge, le genre, l’orientation sexuelle ou le handicap.
Les coûts du SCC découlant de ces accords peuvent être supérieurs ou inférieurs aux coûts relatifs à la prise en charge et à la garde de ces mêmes personnes dans la population carcérale régulière. Dans le cadre de ses accords relatifs à l’incarcération des Autochtones, le SCC a une capacité de 205 personnes, le nombre moyen d’occupants étant de 92 personnes, et les dépenses annuelles (y compris les salaires du SCC et le financement accordé) s’élevant au total à 13 millions de dollars, ce qui donne un coût moyen de 64 322 $ par lit et de 143 327 $ par occupant. Toutefois, les accords conclus avec de nouveaux fournisseurs pourraient être très différents.
En fin de compte, le SCC reste libre de conclure ou pas des accords avec n’importe quelle entité, de décider ce qu’il paiera et de dicter les mesures de sécurité qu’il exigera. La conclusion d’accords serait une décision stratégique distincte non imposée par le projet de loi. Bien que ces dispositions autorisent des paiements à un nouveau type d’entité, elles ne nécessitent pas directement de financement supplémentaire et ne créent pas de droit individuel à un transfert[^28].
Le SCC aura à supporter un fardeau administratif lié à son obligation de prendre des mesures raisonnables pour trouver des entités non autochtones susceptibles de fournir des services correctionnels à des groupes marginalisés, mais ces coûts seront minimes en l’absence d’accord et de transfert de personnes.
Article 11 : Réduction de peine pour injustice dans l’administration de la peine
L’article 11 permettrait aux personnes condamnées à une peine d’incarcération dans un établissement fédéral de demander une réduction de leur peine en raison d’une injustice dans l’administration de la peine.
Il n’existe pas de base claire permettant d’estimer le nombre de demandes qui pourraient être présentées. Les personnes incarcérées pourraient avoir de nombreux motifs de plainte. Le SCC déclare avoir reçu 20 000 griefs en 2022‑2023[^29]. Pour sa part, le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) dit avoir reçu 4 897 plaintes[^30]. Cependant, un recours aux tribunaux entraînerait des frais juridiques beaucoup plus élevés et des avantages potentiels pour le plaignant.
Il n’existe pas de point de référence évident qui permettrait d’estimer le nombre de demandes par analogie. Bien que l’idée ait été avancée par des universitaires, nous ne connaissons pas d’endroit où des personnes incarcérées peuvent demander une réduction de leur peine au motif d’une injustice dans l’administration de celle-ci[^31].
Les demandes de dommages-intérêts présentées par des personnes incarcérées au motif d’injustice dans l’administration de leur peine constituent peut-être le meilleur exemple permettant une déduction par analogie. Il ressort d’un examen de Canlii qu’il y a relativement peu de cas où une personne incarcérée a obtenu des dommages-intérêts du SCC. En font toutefois partie les recours collectifs Brazeau, Reddock et Gallone où le groupe concerné comprend des milliers de personnes sur plusieurs décennies. Cependant, contrairement aux recours collectifs visant à obtenir des dommages‑intérêts financiers, les personnes incarcérées ne pourraient pas avoir accès à des services juridiques aux termes d’ententes de rémunération liées au montant des dommages-intérêts accordés. En outre, les deux recours seraient probablement exclusifs, les personnes incarcérées recevraient soit des dommages-intérêts, soit une réduction de peine. Nombre de personnes incarcérées ne disposeront pas des ressources juridiques nécessaires pour présenter des demandes sans l’aide de cliniques juridiques en droit carcéral ou de services d’aide juridique sans but lucratif.
Parmi les coûts liés à ces demandes éventuelles, le plus important est celui des représentations juridiques. En 2022‑2023, le SCC avait un coût notionnel de 1,76 million de dollars pour 9 505 heures de professionnels sur 100 dossiers juridiques, soit un coût moyen de 17 602 $ par dossier. Ces coûts ne sont toutefois pas nécessairement représentatifs du coût de l’opposition aux demandes de réduction de peine. Le coût moyen par affaire pénale est nettement inférieur pour le gouvernement comme pour les défendeurs, notamment dans la forte proportion d’affaires qui se règlent[^32].
Par ailleurs, le SCC devra assumer les coûts liés à la préparation des éléments de preuve à utiliser par les représentants juridiques et à l’accompagnement des personnes incarcérées qui vont participer aux audiences.
Pour donner un ordre de grandeur approximatif, si les personnes incarcérées présentent 1 000 demandes par an, dont 80 % sont réglées pour un coût de 1 000 $ chacune, et que 20 % nécessitent la tenue d’une audience pour un coût moyen de 5 000 $ chacune – les provinces couvrant 3 000 $ sur les frais juridiques payés dans 80 % des cas, – le coût total pour le gouvernement fédéral avoisinera 1,3 million de dollars.
Ces nouvelles procédures imposeront également une charge supplémentaire aux tribunaux, en particulier aux cours supérieures provinciales, mais ces coûts relèvent de la compétence provinciale.