Dynamique des revenus des nouveaux immigrants au Canada
Ce rapport met en lumière certains changements récents dans le revenu relatif des nouveaux immigrants au Canada. Entre 2014 et 2018, leur revenu relatif est passé de 55 à 78 % de celui de l’ensemble des déclarants canadiens. Nous examinons certaines des caractéristiques de ce changement (pays d’origine, province de destination, études et profession, etc.) et son incidence possible sur la croissance de la productivité mesurée au Canada.
Résumé
Le gouvernement fédéral a annoncé une augmentation importante de ses cibles d’immigration prévues, qui doivent atteindre 500 000 personnes pour les années 2025 et 2026, comme l’a annoncé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC 2022, 2023).
On s’attend à ce que cette augmentation stimule l’économie canadienne à long terme en augmentant l’offre de main-d’œuvre. L’avantage pour la population actuelle demeure incertain, en particulier à court et à moyen terme alors que les nouveaux arrivants doivent être intégrés à l’économie. En effet, dans la dernière section « Immigration, revenu et croissance de la productivité » et à l’annexe A du présent rapport, nous notons que l’immigration a tendance à avoir un effet négatif sur la mesure de la productivité à l’échelle de l’économie à court terme.
Néanmoins, le présent rapport porte sur l’évolution du revenu médian des immigrants nouvellement arrivés par rapport à celui de l’ensemble des déclarants canadiens et sur certains aspects sous-jacents de ce changement. Les données montrent que cette tendance a commencé avant les importants changements de politique de 2015 – l’introduction du système Entrée express.
Plus précisément, entre 2014 et 2018, le revenu total médian des immigrants nouvellement arrivés (un an après l’obtention de la résidence permanente, désignée dans le rapport comme l’« établissement ») est passé de 55 % du revenu total médian de l’ensemble des déclarants à 78 %. Autrement dit, le revenu total des nouveaux immigrants a augmenté beaucoup plus rapidement que le revenu total de l’ensemble des déclarants.
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Les tendances à l’origine de ce changement comprennent une plus grande expérience avant l’établissement au Canada, un déplacement des pays sources vers l’Asie du Sud et un plus grand nombre de liens familiaux des migrants entrants. Ces tendances sont perceptibles depuis le milieu des années 2000.
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L’augmentation du revenu relatif touche majoritairement des groupes professionnels comme les ingénieurs, les chercheurs en sciences appliquées, etc.
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Une part disproportionnée de la réduction de l’écart de revenu entre les nouveaux immigrants et l’ensemble des déclarants (45 % en 2014, comparativement à 22 % en 2018) est attribuable aux personnes vivant en Ontario.
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Comme les immigrants commencent à travailler au Canada à des revenus inférieurs au revenu médian, cette réalité entraîne un effet de composition qui pourrait fausser à la baisse la productivité du travail observée. La convergence récente du revenu des immigrants avec la médiane canadienne pourrait effacer une partie de cet effet, jusqu’à 0,21 point de pourcentage à la limite extérieure, si cette convergence se poursuit.
Les données donnent à penser que ce changement était plutôt généralisé puisqu’il concerne des immigrants d’un large éventail de pays sources. Néanmoins, un examen plus approfondi révèle que le changement s’est produit de façon disproportionnée chez les immigrants de l’Inde, bien que ceux des Philippines et de la Chine aient également contribué de façon importante.
La hausse du revenu médian relatif s’est également produite de façon disproportionnée dans quelques grandes catégories professionnelles. Les personnes exerçant des professions libérales (p. ex. ingénieurs, chercheurs en sciences appliquées, enseignants, comptables, médecins, etc.) étaient à l’origine de la majeure partie de la réduction de l’écart, en ce qui concerne leurs revenus un an après leur établissement.
De plus, nous avons constaté que l’expérience canadienne des immigrants juste avant leur établissement constituait un corrélat important. De plus en plus d’immigrants travaillent au Canada de façon temporaire, puis obtiennent le statut de résident permanent. Leur revenu total médian au Canada au cours de l’année précédant leur établissement a augmenté depuis 2007 : il est passé d’environ 49 % de l’ensemble des résidents en 2006 à environ 89 % en 2013.
Une conclusion connexe est que l’augmentation du revenu s’est produite alors que le nombre d’immigrants ayant des liens familiaux au Canada a augmenté, ce qui laisse entendre que les réseaux sociaux préexistants contribuent de manière importante à l’obtention de résultats économiques. Cette dernière observation concorde avec le fait que l’augmentation du revenu comportait une composante régionale. Ce sont les résidents de l’Ontario et de la Colombie-Britannique qui ont le plus contribué à réduire l’écart de revenu, et ce sont des régions où il y a de grandes communautés in situ des pays sources[^1].
Cette variation au fil du temps du revenu relatif des nouveaux immigrants est également pertinente à une échelle plus large que pour l’immigration seule, par exemple, dans la mesure de la productivité canadienne. Étant donné le lien entre le revenu d’une personne et la valeur marchande de son travail, le revenu tend à être lié à la productivité. Lorsque les revenus relatifs des nouveaux immigrants sont plus faibles, leur productivité mesurée est susceptible d’être plus faible, surtout au cours des premières années où ils ne sont pas encore pleinement intégrés à la population active canadienne. Ces faibles revenus relatifs peuvent créer un effet de composition dans le calcul d’une croissance de la productivité à l’échelle de l’économie. Nous estimons que cet enjeu de mesure a pu contribuer, toutes choses étant égales par ailleurs, à réduire la croissance annuelle de la productivité canadienne de 0,21 point de pourcentage à la limite extérieure entre 1990 et 2014. À cet égard, la hausse des revenus des nouveaux immigrants pourrait éliminer un frein à la croissance de la productivité mesurée.
Contexte
Contexte historique des nouvelles cibles d’immigration
Les cibles d’immigration annoncées par le gouvernement fédéral pour 2023‑2026 (IRCC 2022, 2023) arrivent à un moment où le profil des immigrants du Canada évolue constamment. En rétrospective, cela ne devrait pas être surprenant étant donné qu’il y a souvent eu des changements dans la politique d’immigration au fil de l’histoire du Canada. Il n’y a guère de période d’immigration dans le passé que l’on puisse qualifier de « normale », car chaque vague – après les premiers migrants anglais et français – provenait de régions de plus en plus diversifiées (Troper, 2013).
Néanmoins, par rapport à l’expérience récente, les cibles annoncées représentent une augmentation importante du niveau d’immigration, ainsi qu’en proportion de la population nationale (figure 1). Les niveaux d’immigration ciblés se situeront en moyenne à 1,2 % entre 2023 et 2026. Au cours de la période allant de 1945 à 2020, le ratio a fluctué légèrement, mais est demeuré centré sur un taux annuel de 0,7 %, ce qui représente un changement important par rapport aux périodes de plus grande variation avant 1930, où le ratio était néanmoins en moyenne de 1,5 %.
Directeur parlementaire du budget.
Statistique Canada, tableaux 17-10-0057-01, 17 10 0040-01, 17-10-0009-01 et 11-630-X2016006.
Diverses publications du Recensement du Canada.
Directeur parlementaire du budget.
Statistique Canada, tableaux 17-10-0057-01, 17 10 0040-01, 17-10-0009-01 et 11-630-X2016006.
Diverses publications du Recensement du Canada.
Ne comprend pas les résidents temporaires ou les citoyens canadiens de retour au pays.
Le Canada dans le contexte international
Comparativement à d’autres pays, le ratio d’immigration moyen du Canada est plus élevé que celui de la plupart des grandes économies (figure 2), mais il ne constitue pas une exception au sein d’un groupe de 24 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Perspectives économiques de l’OCDE, no 112.
Perspectives économiques de l’OCDE, no 112.
Seuls les pays ayant des données pour 1996 à 2020 sont représentés.
Revenu relatif de l’ensemble des immigrants
Alors que, historiquement, le Canada acceptait surtout des immigrants d’origine européenne et américaine, cette mesure a commencé à changer vers la fin du XXe siècle. Un système fondé sur des points a été mis en place en 1967 et était davantage axé sur l’économie. Une autre réforme en 1976 a permis d’accroître l’accès aux non-Européens et de rendre le système plus égalitaire entre les groupes ethniques. Cette mesure visait à faciliter l’entrée de personnes dont les compétences correspondaient à des critères jugés complémentaires à la main-d’œuvre résidente du Canada.
Toutefois, ces changements apportés au système d’immigration n’ont pas permis l’intégration harmonieuse des nouveaux immigrants. En effet, l’écart de revenu des immigrants avant les années 1970 était faible, car le revenu peu après l’établissement était plus proche de celui des personnes nées au Canada ayant des compétences similaires, mais cet écart s’est lentement creusé par la suite (Frenette et Morisette, 2006; Picot, 2005; Aydemir et Skuterud, 2004). En 2008, le revenu total médian des nouveaux immigrants reçus avait chuté à 52 % de celui de l’ensemble de la population non temporaire[^2].
En ce qui concerne l’ensemble des immigrants, le portrait est moins clair. Les données de Statistique Canada montrent qu’en 2019, l’écart global du revenu médian pour l’ensemble des immigrants sur le plan du revenu d’emploi était faible (rangée du bas du tableau 1), mais cela cache deux problèmes importants. Le premier est l’hétérogénéité des écarts de revenu entre les niveaux de scolarité.
Alors que le Canada accorde la priorité aux titres de scolarité des immigrants, il existe de plus grands écarts de revenu pour les personnes ayant fait des études supérieures, ainsi que pour celles détenant un certificat d’apprenti qui n’est pas entièrement reconnu (en 2019, par rapport à l’ensemble de la population non temporaire; tableau 1).
Le deuxième problème qui est absent du tableau 1 est celui des écarts de revenu au fil du temps. Le revenu médian des immigrants de longue date en tant que groupe est indiscernable de celui des non-immigrants. Tandis que, comme il a été mentionné précédemment, le revenu médian des nouveaux immigrants a évolué par rapport au reste de la population.
Plus récemment, il y a eu d’autres changements dans l’écart du revenu médian des nouveaux immigrants; il s’est rétréci. Dans le présent rapport, nous nous concentrons sur ce changement et examinons certaines de ses caractéristiques sous-jacentes.
Résidents temporaires
Le nombre croissant de résidents temporaires est particulièrement pertinent pour l’évolution de l’écart de revenu (figure 3).
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (2022).
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (2022).
Ces données ne comprennent pas les résidents temporaires qui n’ont pas de permis de travail (p. ex. les étudiants étrangers) ou ceux qui participent au Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Entre 2014 et 2018, leur nombre a augmenté de 44 % (112 000) (à l’exclusion des étudiants et des réfugiés), ou de 57 % (204 000) lorsqu’on inclut les étudiants et les réfugiés. Sur 112 000 travailleurs temporaires de plus, environ 45 000 provenaient de l’Inde.
Les résidents temporaires font souvent la transition vers le statut permanent, après quoi ils ont plus d’expérience de travail ou d’études et une meilleure connaissance du Canada. Cette tendance, combinée à la présence de plus grandes communautés in situ qui offrent un réseau social plus favorable[^3], implique que les nouveaux immigrants arrivent dans un environnement plus réceptif, facilitant ainsi leur transition vers le marché du travail.
Convergence des revenus des nouveaux immigrants
Des années 1960 aux années 1970 environ, pour lesquelles des données comparables sont disponibles, les immigrants arrivant au Canada ont commencé leur vie active avec des salaires quelque peu similaires à ceux des résidents nés au Canada (Picot, 2005). À partir des années 1980, le revenu relatif des immigrants a commencé à se détériorer.
Les données disponibles montrent que, de 1990 à 2014, le revenu total médian des immigrants un an après leur établissement au pays était constamment inférieur à 60 % de la médiane de l’ensemble des déclarants. Après 2014, le ratio a commencé à augmenter considérablement, passant de 55 % à 78 % en 2018, et a continué à augmenter par la suite (figure 4)[^4].
Statistique Canada, tableaux 43-10-0027, 18-10-005 et 11-10-0055.
Statistique Canada, tableaux 43-10-0027, 18-10-005 et 11-10-0055.
Le revenu total est utilisé. Dans les deux cas, le revenu est ajusté en fonction de l’indice des prix à la consommation.
Deux périodes en particulier se distinguent par leur évolution relativement rapide : 2015 et 2018. Les augmentations pour ces années étaient respectivement de 11 points de pourcentage et de 9 points de pourcentage. Ces augmentations sont élevées par rapport aux autres années et ne se sont pas renversées.
La source de la forte augmentation des revenus en 2015 n’est pas facile à discerner. Le lancement d’Entrée express (1er janvier 2015) a été une étape d’un processus plus ciblé visant à attirer des immigrants au Canada dans un éventail de domaines spécialisés. Néanmoins, l’introduction du système est arrivée trop tard pour être un facteur causal de l’augmentation du revenu des immigrants en 2015, puisque ce qui est illustré est le revenu un an après l’établissement (donc, pour 2015, il s’agirait du revenu de ceux qui se sont établis en 2014).
Une observation semblable peut être faite pour 2017, où les résidents qui se sont établis cette année-là avaient des écarts de revenu plus faibles avant et après leur établissement.
Parmi les facteurs susceptibles de contribuer à ces événements, mentionnons ceux énoncés dans une hypothèse selon laquelle, depuis que le système Entrée express a commencé à accepter des demandes en mai 2014, il pourrait y avoir eu un effet de démonstration pour les personnes qualifiées – qui ont ensuite présenté une demande de résidence permanente en 2014. De même, en 2017, il y a eu une baisse des seuils nécessaires pour être admissible à Entrée express, et les événements aux États-Unis pourraient avoir entraîné un changement de points de vue et de politiques concernant l’immigration (Cheatham et Roy, 2023).
Ce qui est peut-être plus convaincant, cependant, est que ces événements ont stimulé une tendance déjà enclenchée. Toute personne travaillant au Canada (temporaire ou permanente) doit payer des impôts à l’Agence du revenu du Canada lorsqu’elle a un revenu d’emploi au Canada supérieur au revenu minimum imposable. Ceux qui ont passé plus de 183 jours dans le pays seront considérés comme résidents et devront payer des impôts sur la totalité des revenus, perçus au Canada et à l’étranger. Cela comprend les personnes qui ne sont pas des résidents permanents. Lorsque nous avons examiné le revenu canadien des immigrants au cours de l’année précédant leur établissement au Canada (p. ex. alors qu’ils étaient au Canada et travaillaient avec un permis temporaire), une tendance claire s’est dégagée (figure 5). Bien que les revenus relatifs après l’établissement aient tendance à augmenter depuis 2014 (figure 4), les revenus avant l’établissement au Canada ont augmenté depuis 2006. Ceux qui travaillaient déjà au Canada avant l’établissement ont un avantage important sur le plan du revenu (Hou et Bonikowska, 2015). Le Canada attire donc un plus grand nombre de personnes qui sont ici de façon temporaire (figure 3) et qui gagnent un revenu plus élevé au travail. Ces personnes deviennent ensuite des résidents permanents. Des événements comme la mise en œuvre du système Entrée express n’ont pas changé la donne en soi, mais ils font plutôt partie d’une évolution qui a facilité l’intégration des immigrants au marché du travail.
Base de données longitudinales sur l’immigration de Statistique Canada. Reproduite et diffusée « telle quelle » avec la permission de Statistique Canada.
Base de données longitudinales sur l’immigration de Statistique Canada. Reproduite et diffusée « telle quelle » avec la permission de Statistique Canada.
Lorsqu’on inclut les déclarants à revenu nul, le ratio est beaucoup plus faible en 2006 : 0,28 lorsqu’ils sont inclus par rapport à 0,49 lorsqu’ils sont exclus. En 2014, l’écart entre les deux s’était considérablement rétréci : 0,78 lorsqu’ils sont inclus par rapport à 0,85 lorsqu’ils sont exclus. Étant donné que de nombreuses déclarations de revenus à revenu nul sont faites pour des raisons administratives (p. ex. pour accéder aux programmes gouvernementaux), la quasi-convergence des deux perspectives en 2014 donne à penser que les immigrants en attente se distinguaient moins des autres Canadiens dans les déclarations de revenus administratives. Aux fins d’autres analyses du présent rapport, l’inclusion ou l’exclusion des déclarants à revenu nul a été moins lourde de conséquences dans les cas où elle a été analysée. Compte tenu de la disponibilité des données, tous les déclarants sont généralement compris, sauf indication contraire.
Sources de convergence des revenus des nouveaux immigrants
Ces augmentations relatives du revenu des immigrants méritent d’être étudiées davantage dans le contexte de l’augmentation future de l’immigration. Les tendances illustrées aux figures 4 et 5 peuvent être le résultat d’initiatives stratégiques ou de changements provenant de l’extérieur du Canada. La distinction est importante puisqu’elle peut indiquer les limites de ce que le gouvernement a accompli seul.
Nous décrivons maintenant certaines caractéristiques du changement qui peuvent aider à faire la distinction entre les deux. Nous nous concentrons en particulier sur la période de 2014 à 2018, puisque c’est à cette période que les changements importants se sont produits.
Effets du pays d’origine
En ce qui concerne le revenu des immigrants un an après leur arrivée, ce sont les immigrants d’Asie qui ont gagné le plus en revenus relatifs (tableau 2). Sur les gains de 22,7 points de pourcentage du revenu relatif entre 2014 et 2018 (figure 4), près des trois quarts (16,1 points de pourcentage) proviennent de pays asiatiques, l’Inde dominant à 8,5 points de pourcentage (près d’un tiers du total de 22,7 points de pourcentage).
Les immigrants de la Chine ont également contribué à ce gain. Cependant, même si leurs revenus ont augmenté un peu plus rapidement que ceux de l’Inde (70 % pour les immigrants chinois contre 67 % pour les immigrants indiens), le nombre d’immigrants de la Chine a diminué de 15 % au cours de cette période, tandis que celui de l’Inde a augmenté de 63 %. En effet, l’immigration en provenance de l’Inde a continué d’augmenter à un rythme élevé. En 2019, 2,4 fois plus d’immigrants de l’Inde se sont établis qu’en 2013.
Les immigrants de l’Inde étaient également en hausse par rapport à l’ensemble des immigrants établis entre 2013 (14 %) et 2017 (19 %). Ils ont ensuite atteint 25 % en 2019[^5].
La politique a probablement contribué puisque le revenu médian a augmenté de façon générale pour toutes les sources d’immigration, mais d’autres facteurs peuvent également avoir joué un rôle important. Il est plus probable que les circonstances en Inde ont entraîné une émigration plus importante de personnes relativement qualifiées. En principe, compte tenu de la taille de la population indienne, une telle tendance pourrait se poursuivre indéfiniment – bien que la récente croissance économique rapide du pays laisse entendre que l’émigration de l’Inde pourrait être incertaine à l’avenir[^6].
Nous pouvons aussi approfondir les caractéristiques des immigrants pour mieux comprendre la situation. Nous notons d’abord que, comme dans la section précédente, l’expérience antérieure au Canada a contribué dans une large mesure. Ceux qui sont temporairement au Canada pour étudier ou travailler acquièrent de l’expérience et ont un travail relativement bien rémunéré lorsqu’ils deviennent résidents permanents. De la hausse du revenu relatif entre 2014 et 2018, environ 85 % étaient attribuables aux études et/ou à l’expérience de travail antérieures au Canada.
Le fait d’autoriser l’admission temporaire des immigrants et d’accorder par la suite la résidence permanente contribuerait ainsi à réduire l’écart de revenu des immigrants. Étant donné que les revenus relatifs ont augmenté même au cours de l’année précédant l’établissement (figure 5), le fait de permettre l’entrée temporaire n’a pas simplement entraîné un rétrécissement de l’écart de revenu (plus près du moment de l’établissement) qui aurait pu se produire de toute façon (voir la figure 8 et les autres détails ci-dessous).
Les liens familiaux solides constituent un autre aspect qui stimule le revenu. Les immigrants parrainés par des membres de leur famille ont largement contribué à augmenter le revenu relatif des immigrants. Le fait d’avoir accès à un réseau de contacts à l’arrivée favorise probablement l’obtention d’un travail relativement bien rémunéré.
Études
Les écarts de revenu relatif pour divers niveaux de scolarité (tableau 1 ci-dessus) sont des indicateurs potentiellement importants de la capacité du Canada à aider les immigrants à trouver un emploi qui correspond à leurs compétences. En principe, un écart de revenu relatif important indique une disparité persistante.
Les écarts signalés dans le tableau 1 (pour 2019) sont exhaustifs en ce sens qu’ils concernent toutes les cohortes d’immigrants. La situation est différente lorsque l’accent est mis sur les changements survenus au cours de la récente période de croissance rapide du revenu (figure 4; 2014 à 2018). Malheureusement, un grand nombre de déclarants qui se sont établis en 2017 n’ont pas fait inscrire leur niveau de scolarité (« Niveau non indiqué » à la figure 6). Les personnes qui n’ont pas déclaré leur niveau de scolarité représentaient 58 % de la réduction de l’écart de revenu entre 2014 et 2018.
Un aperçu du groupe « Niveau non indiqué » peut être obtenu en examinant leurs professions envisagées. Dans quatre des dix grandes catégories de profession envisagées, les augmentations ont été considérables, mais les ingénieurs et les autres professionnels ont occupé une place particulièrement importante. Étant donné que l’accent est mis sur le changement au fil du temps, les résultats devraient être robustes par rapport aux mises en garde concernant le niveau de scolarité, puisqu’il y a probablement une certaine cohérence dans les sources d’erreurs (p. ex. Fortin et coll., 2016).
Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration. Reproduite et diffusée « telle quelle » avec la permission de Statistique Canada.
Statistique Canada, Base de données longitudinales sur l’immigration. Reproduite et diffusée « telle quelle » avec la permission de Statistique Canada.
Le groupe « Niveau non indiqué » a eu un effet fortement disproportionné sur l’écart de revenu puisqu’il représentait 57 % de l’augmentation, mais seulement 28 % de l’ensemble des immigrants. La proportion d’immigrants dans d’autres secteurs comprenait : diplôme d’études secondaires ou inférieur, 22 %; certificat officiel d’une école de métiers, 5 %; certificat ou diplôme d’un établissement non universitaire, 6 %; université – aucun diplôme, 6 %; baccalauréat, 22 %; études supérieures, 2 %; maîtrise, 8 %; doctorat, 1 %.
Lien avec la destination des immigrants
Un autre indicateur que l’on peut dégager de l’augmentation du revenu entre 2014 et 2018 concerne la destination des immigrants. Les immigrants qui arrivent en Ontario représentent une part importante de la réduction de l’écart du revenu total (tableau 3). Les résultats sont pondérés en fonction du pourcentage d’immigrants qui se rendent dans chaque province; par conséquent, ils n’indiquent pas d’eux-mêmes que les immigrants qui s’établissent en Ontario ont enregistré des gains de revenu importants.
Étant donné que les immigrants indiens ont contribué de façon démesurée aux gains du revenu médian (8,5 points de pourcentage de la variation sur 22,7 points de pourcentage; tableau 3), il convient de noter leurs destinations. Bien qu’elle accueille un peu plus de la moitié des immigrants venant de l’Inde, l’Ontario représente plus des trois quarts de la contribution à la hausse du revenu relatif (6,6 points de pourcentage de la variation sur 8,5 points de pourcentage; tableau 3). Une grande partie de la contribution restante provient de la Colombie-Britannique. Les deux provinces comptent d’importantes communautés in situ de l’Asie du Sud.
Les répercussions de ce résultat sur l’immigration future ne sont pas claires parce que la causalité n’a pas été démontrée. Néanmoins, il apparaît que, si cette tendance se maintenait, une province en particulier en profiterait probablement davantage (ou subirait moins d’impacts négatifs).
Observations sur les sources de convergence
Nous pouvons maintenant résumer certaines caractéristiques des nouveaux immigrants pour dégager des renseignements supplémentaires.
Comme il a été mentionné précédemment, l’expérience acquise au Canada contribue grandement à la convergence des revenus. Ceux qui sont temporairement au Canada pour étudier et/ou travailler acquièrent de l’expérience et ont un travail relativement bien rémunéré lorsqu’ils s’établissent (deviennent résidents permanents). De la hausse du revenu relatif entre 2014 et 2018, environ 85 % étaient attribuables à un travail antérieur et/ou à une expérience d’études au Canada.
Le fait d’autoriser l’admission temporaire des immigrants et d’accorder par la suite la résidence permanente (établissement) contribuerait ainsi à réduire l’écart de revenu des nouveaux immigrants. Cette constatation ne signifie pas que les revenus futurs plus élevés de ces immigrants sont simplement reportés (voir la figure 7 ci-dessous pour un profil chronologique des revenus après l’établissement). Le revenu relatif des résidents temporaires a augmenté même au cours de l’année précédant l’établissement (figure 5), laissant entendre que quelque chose de plus général aide les nouveaux immigrants à trouver un emploi mieux rémunéré.
Les liens familiaux ont aussi contribué à stimuler le revenu. Les immigrants parrainés par des membres de leur famille ont largement contribué à augmenter le revenu relatif des immigrants. Le fait d’avoir accès à une communauté in situ culturellement similaire à l’arrivée est susceptible de favoriser la recherche d’un bon emploi.
Le groupe professionnel y contribue aussi beaucoup. Le nombre de professionnels a augmenté de façon disproportionnée entre 2014 et 2018. Cette augmentation s’inscrit dans un contexte d’expansion des communautés in situ dans certaines régions du Canada, comme en témoigne la proportion grandissante d’immigrants dans la population.
Compte tenu du nombre de travailleurs temporaires au Canada et des gains de revenu des résidents avant l’établissement, qui ont augmenté depuis le milieu des années 2000, les gains de revenu relatif entre 2014 et 2018 pourraient avoir été la manifestation de tendances amorcées beaucoup plus tôt.
Immigration, revenu et mesure de la productivité du travail
Dans cette section, nous examinons un lien de composition possible entre le revenu des nouveaux immigrants et la croissance de la productivité mesurée à l’échelle de l’économie.
Nous commençons par décrire une relation empirique entre le nombre de nouveaux immigrants qui arrivent au Canada et la croissance de la productivité. Nous remarquons ensuite que la valeur de leur productivité dans leur lieu d’emploi est liée à leur revenu, et que la productivité à l’échelle de l’économie serait mesurée à un niveau plus bas, même si les revenus n’étaient plus bas qu’au moment de leur intégration initiale au marché du travail canadien. Nous concluons en observant que les augmentations récentes du revenu relatif des nouveaux immigrants pourraient éliminer un frein à la croissance de la productivité mesurée au Canada[^7].
Observations empiriques
L’analyse empirique entreprise pour le présent rapport, ainsi que celle présentée ailleurs, révèle une incidence négative à court terme de l’immigration sur la croissance de la productivité (Encadré 2, annexe A, et Doyle et coll., 2023).
L’OCDE (2019) a indiqué que pour 35 pays, le ratio moyen de l’immigration par rapport à la population était de 10,4 %, avec un minimum de 0,8 % au Mexique et un maximum de 46,3 % au Luxembourg. Ces données fournissent une bonne base pour vérifier si l’immigration et la productivité sont liées.
En utilisant la productivité du travail comme variable dépendante, nous avons estimé une relation négative avec le ratio d’immigration comme facteur de régression dans un panel pancanadien (voir l’annexe A). Même pour le Canada individuellement, nous avons estimé une relation négative statistiquement significative et plus forte, ce qui était quelque peu surprenant étant donné que le ratio d’immigration du Canada a moins fluctué que celui d’autres pays.
Par la suite, une analyse sectorielle plus détaillée pour le Canada utilisant des secteurs à trois chiffres du Système de classification des industries de l'Amérique du Nord (SCIAN) a donné des résultats plus faibles que les données de l’OCDE (Annexe A). Autrement dit, des ratios d’immigration annuels élevés au sein des secteurs étaient généralement (mais pas uniformément) associés à une croissance de la productivité plus faible dans ces secteurs. Une mise en garde importante est que l’intensité et le signe de l’effet variaient considérablement d’un secteur à l’autre.
Il y aurait donc une relation entre le revenu des nouveaux immigrants et leur incidence sur la croissance de la productivité, c’est-à-dire qu’un rétrécissement de l’écart de revenu a une incidence négative moindre.
Ni les résultats empiriques présentés à l’annexe A ni ceux dans Doyle et coll., (2023) ne laissent entendre que les nouveaux immigrants sont moins productifs en soi. Dans les deux cas, le lien négatif entre les nouveaux immigrants et la croissance de la productivité est une observation empirique qui nécessite une analyse plus approfondie pour en relever la cause sous-jacente. Nous émettons ci-dessous l’hypothèse qu’il s’agit d’un effet de composition dont la source est le faible revenu que les nouveaux immigrants ont reçu (particulièrement au cours des dernières décennies).
Revenu et productivité
Pour établir un lien entre le revenu des nouveaux immigrants et la productivité nationale observée, on peut considérer que la productivité se mesure en produit intérieur brut (PIB) par heure travaillée. Cela comprend la valeur ajoutée des travailleurs, ainsi que la valeur ajoutée du capital. Le revenu d’emploi d’un travailleur est lié à sa propre valeur ajoutée; dans les comptes nationaux, le revenu du travail est défini comme la valeur ajoutée du travail. Si la productivité d’un travailleur est faible dans cet emploi, son revenu sera également faible à moins qu’il y ait une compensation par le capital que le travailleur est en mesure d’obtenir.
Lorsque les nouveaux immigrants commencent à travailler à des niveaux de revenu d’emploi inférieurs à la médiane, la productivité du travail observée serait faussée à la baisse en raison de leur faible revenu d’emploi.
Cette réalité figurerait dans les données agrégées, à moins que le « surplus d’immigrants » (Borgias, 1995) soit positif et suffisamment important pour compenser l’écart de revenu médian – autrement dit, à moins que le revenu du capital et des autres travailleurs n’augmente d’au moins l’écart de revenu médian des nouveaux immigrants. L’existence possible d’un surplus d’immigrants signifie que l’écart de revenu des nouveaux immigrants est un indicateur de limite extérieure du frein à la productivité.
L’incidence négative des nouveaux immigrants sur la productivité mentionnée donne à penser que, du moins à court terme, la faiblesse des revenus des nouveaux immigrants n’est pas entièrement compensée par la productivité du capital et des autres travailleurs.
Toutefois, cette incidence à court terme semble se dissiper avec le temps à mesure que le revenu des cohortes d’immigrants qui sont établis au Canada augmente. Par exemple, la cohorte qui s’est établie en 2010 avait un revenu médian en 2011 qui correspondait à 57 % de la moyenne globale. Neuf ans plus tard, il était passé à 94 %, et on s’attendait à ce qu’il continue d’augmenter, mais plus graduellement (figure 7).
Statistique Canada, tableaux 43-10-0027, 11-10-0055 et 18-10-0005.
Statistique Canada, tableaux 43-10-0027, 11-10-0055 et 18-10-0005.
Le revenu est ajusté en fonction de l’indice des prix à la consommation.
Un effet de composition potentiel
Lorsque les immigrants nouvellement arrivés relancent continuellement la dynamique illustrée à la figure 7 avec chaque nouvelle cohorte, le résultat peut avoir un effet de composition qui a une incidence sur la productivité à l’échelle de l’économie. Elle combine une productivité plus faible dans un segment de la population active (nouveaux immigrants et immigrants récents) et une productivité plus élevée dans le reste de la population active. Il en résulterait également une plus faible croissance de la productivité, même si la croissance de la productivité des résidents de longue date n’était pas influencée par l’immigration récente.
À titre indicatif, nous évaluons la limite supérieure de l’incidence qu’un tel profil dynamique pourrait avoir sur les mesures de la croissance de la productivité. Pour le revenu de l’année 2014, nous calculons l’écart de revenu par année d’établissement pour ceux qui se sont établis entre 1989 et 2013. Le regroupement des écarts nous permet de calculer le biais négatif sur la productivité pour l’année 2014. En d’autres termes, l’écart de revenu de 2014 pour les immigrants établis en 2013 est combiné à l’écart de revenu de 2014 pour les immigrants établis en 2012, en remontant jusqu’à l’écart de revenu de 2014 pour ceux qui se sont établis en 1989.
Nous pouvons ainsi calculer un effet annuel moyen pour 1989 et 2014. L’année 1989 est choisie parce que les années 1980 ont marqué le début de la baisse du revenu des immigrants (un an après l’établissement).
En supposant que les immigrants aient peu d’incidence sur la productivité du travail des résidents de longue date (c.‑à‑d. que le surplus des immigrants est faible), nous estimons qu’en 2014, la productivité du travail mesurée était de 5,4 % inférieure à ce qu’elle aurait été sans les immigrants[^8]. Cela signifie qu’au cours de la période de 1990 à 2014, la croissance annuelle globale de la productivité a été de 0,21 % inférieure. L’envers de la médaille, est que la croissance de la productivité de tous les résidents non immigrants aurait été plus élevée que la croissance de la productivité nationale déclarée.
Étant donné que la croissance de la productivité mesurée au cours de cette période était en moyenne de 0,6 %, il s’agit d’un problème de composition potentiellement important. Tout effet positif que les immigrants peuvent avoir sur la main-d’œuvre et le capital (le surplus d’immigrants) atténue cet effet. Pour que l’effet disparaisse, il faudrait que le surplus d’immigrants soit plus important que leur écart de revenu.
Le résultat est que la croissance de la productivité nationale du Canada serait mesurée à un niveau inférieur à ce qu’elle serait sans les nouveaux immigrants, mais cet effet de composition n’est pas lié à l’évolution rapide de la technologie au Canada[^9].
Un certain soutien indirect pour un effet de composition hypothétique provient de l’analyse sectorielle (Annexe A) qui a révélé une incidence plus faible de l’immigration sur la productivité lorsque les immigrants qui n’ont pas reçu de feuillet T4 sont exclus. Ceux qui avaient des feuillets T4 en moyenne avaient des revenus quelque quatre fois plus élevés que ceux qui n’en avaient pas. Les autres analyses (agrégées) comprenaient tous les immigrants, même ceux à faible revenu. Si le degré de l’incidence dépend en partie du revenu des immigrants, cela laisse entendre que l’incidence de la composition sur la croissance de la productivité nationale serait affaiblie à mesure que le revenu des nouveaux immigrants augmenterait par rapport au reste de la population.
Cette observation, combinée au résultat selon lequel l’impact de l’immigration sur la croissance de la productivité est plus important au Canada que dans d’autres pays (Annexe A, deuxième colonne du tableau A‑1), suggère que cet effet de composition est relativement plus fort – de sorte que la tendance à supprimer ce frein à la croissance de la productivité aurait plus d’effet au Canada que dans d’autres pays, toutes choses égales par ailleurs.
Résultats de l’estimation
L’analyse avec les données de l’OCDE établit un lien entre l’immigration de nouveaux immigrants et la plus faible croissance mesurée de la productivité (colonne [1] du tableau A-1). La variable indépendante est l’immigration annuelle décalée en pourcentage de la population existante. La variable dépendante est la croissance de la productivité du travail (PIB par heure travaillée).
Estimation à partir d’une base de données longitudinales sur l’immigration non publique de Statistique Canada, 2023 (aucune approbation implicite); Perspectives économiques de l’OCDE no 112; Tableau 36-10-0480-01 de Statistique Canada.
Estimation à partir d’une base de données longitudinales sur l’immigration non publique de Statistique Canada, 2023 (aucune approbation implicite); Perspectives économiques de l’OCDE no 112; Tableau 36-10-0480-01 de Statistique Canada.
\* et \*\* Indiquent des résultats significatifs aux seuils de 95 % et de 99 % respectivement.
Colonne (1), les erreurs types de Driscoll-Kraay sont indiquées entre parenthèses (on a constaté une dépendance transversale; Driscoll et Kraay, 1998). Avec et sans la correction des erreurs types de Driscoll-Kraay, le ratio d’immigration décalée est resté significatif à 95 %.
Colonne (2), les erreurs types robustes sont indiquées entre parenthèses. Un coefficient d’autorégression de 0,1 a été estimé, dont la correction n’a eu qu’une incidence minime sur les erreurs types.
Colonne (3), les erreurs types corrigées de Driscoll-Kraay sont indiquées entre parenthèses. Incorpore des effets fixes. Le ratio d’immigration concerne les immigrants un an après l’établissement. Comprend 96 secteurs à trois chiffres.
L’effet de l’immigration sur la croissance de la productivité est fort dans les 35 pays visés dans l’analyse (certains pays dont les données sont limitées ont été inclus ici, mais pas dans la figure 2). Cela signifie que pour chaque point de pourcentage d’augmentation du ratio d’immigration, il y a une baisse mesurée de la croissance de la productivité de 0,632 %. Le signe sur l’incidence de l’immigration est conforme aux résultats présentés dans Doyle et coll. (2023)[^10].
Lorsque le Canada est examiné individuellement, l’effet semble encore plus fort, presque dix fois plus (colonne [2] du tableau A-1). Nous avons également tenté d’explorer les effets plus profonds de la productivité en examinant les données sur le revenu, l’emploi et la productivité de Statistique Canada au degré de désagrégation des secteurs à trois chiffres du Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN). Au total, quelque 96 secteurs ayant des données sur l’emploi des immigrants l’année après leur établissement et sur la productivité à l’échelle du secteur étaient disponibles. La valeur ajoutée dans ces secteurs représentait environ 93 % du PIB canadien en 2018.
Au niveau sectoriel, l’incidence de l’immigration sur la croissance de la productivité (c.‑à‑d. la valeur ajoutée par heure travaillée) est plus faible que lorsqu’elle est agrégée (colonne [3] du tableau A‑1). Étant donné que les secteurs ne sont pas pondérés en fonction de la taille de la valeur ajoutée ou du nombre d’immigrants, il pourrait s’agir d’un effet de composition (bien que certaines expériences limitées avec des modèles de pondération n’appuyaient pas cette hypothèse). Néanmoins, les données sectorielles couvrent environ 93 % de l’économie, mais seulement environ 70 % des immigrants, ce qui laisse supposer une distinction entre les 70 % qui étaient inclus et les 30 % qui ne l’étaient pas.
Deux sources de données sont combinées pour produire le code SCIAN pour les données sectorielles sur l’immigration. Il y a d’abord le code qui est appliqué par l’Agence du revenu du Canada sur la base du feuillet T4 du déclarant. L’autre, ce sont les données administratives. Seulement 70 % des immigrants ayant un revenu reçoivent des feuillets T4. Leur revenu médian est quatre fois plus élevé que celui des immigrants qui ne reçoivent pas de feuillet T4. Étant donné que ce ne sont pas les immigrants en soi qui ont une incidence sur la productivité, cela appuie l’hypothèse avancée plus tôt selon laquelle un faible revenu au début de la vie active d’un immigrant au Canada crée un effet de composition sur la productivité globale du Canada.
En ce qui concerne les détails sectoriels, un peu plus de la moitié des secteurs ont des coefficients négatifs sur le ratio d’immigration. L’effet négatif global de l’immigration sur la croissance de la productivité n’est donc pas vrai pour toutes les composantes. De plus, les secteurs qui présentent des signes contraires de l’incidence de l’immigration sont entremêlés entre de vastes catégories. Cela signifie qu’il n’est pas possible de distinguer concrètement les grands groupes comme la fabrication par rapport à l’agriculture, la pêche et la foresterie, ou même les secteurs de la haute technologie par rapport aux secteurs peu technologiques. À titre d’exemple, mentionnons le secteur 493, Entreposage, qui comprend des entreprises en ligne comme Amazon. C’est sans doute un secteur de la haute technologie qui a connu une croissance rapide et qui embauchait proportionnellement plus de nouveaux immigrants même avant la pandémie de COVID-19. Le revenu médian de ces travailleurs est généralement inférieur à la médiane canadienne, et leur incidence sur la croissance de la productivité sectorielle est négative sur le plan empirique et statistiquement significative. Étant donné que la croissance globale de la productivité du travail dans ce secteur suit également une tendance à la baisse depuis 2000, l’effet ne provient pas uniquement de l’immigration.
Pour mettre davantage en évidence l’hétérogénéité des répercussions de l’immigration, nous avons utilisé ces résultats par secteur pour former deux groupes. Un groupe comprenait les secteurs où les coefficients individuels étaient négatifs, tandis que l’autre comprenait les secteurs où les coefficients étaient positifs. Compte tenu des problèmes que pose l’inférence à la suite d’un tel processus de sélection, l’exercice n’est qu’illustratif (nous n’avons pas essayé de corriger les erreurs types pour le processus de sélection par étapes). Les groupes ont donné le résultat prévisible que le groupe ayant des coefficients négatifs a produit un coefficient globalement négatif. Le groupe dont les coefficients étaient positifs a produit un coefficient globalement positif. Même si, dans les deux cas, les erreurs types calculées étaient relativement faibles par rapport aux coefficients estimés, aucune tentative d’inférence n’a été faite, et le résultat est purement indicatif de l’hétérogénéité.
Références
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Communications
Citation
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La situation des nouveaux immigrants au Canada sur le marché du travail s’est considérablement améliorée durant les années 2010. De 2014 à 2018, le revenu total médian des nouveaux immigrants qui ont rempli une déclaration de revenu est passé de 55 à 78 % du revenu total médian de l’ensemble des déclarants. Cette hausse annule une partie des pertes relatives subies par les nouveaux immigrants au cours des années 1980 et par la suite.
Directeur parlementaire du budget